Enfin si l'on passe à un cadre de résolution 640×480 pixels associée à une profondeur de 256 couleurs (caractéristiques typiques des systèmes Windows du début des années 90 qui permettait d'ores-et-déjà de présenter des photos à peu près crédibles), le tableau des 307 200 pixels possède 256 puissance 307200 visages différents, soit beaucoup, beaucoup, beaucoup plus qu'il n'existe d'atomes dans l'univers (leur nombre est estimé à 10 puissance 80).
Ainsi l'ensemble des possibles engendré tend manifestement rapidement vers l'impraticable, sans véritable sens physique, même s'il demeure toujours fini, dénombrable. Pourvu d'habiter dans un univers bien plus grand que le nôtre pour pouvoir les stocker, ou de disposer d'un temps infini pour pouvoir toutes les visionner au fur et à mesure sans les enregistrer, il serait donc possible de générer toutes les images potentiellement produites par un capteur photo-numérique dont la résolution et la profondeur seraient celles précédemment mentionnées. Or à pareil niveau de résolution, une image peut être tout-à-fait figurative, et même très réaliste. Donc en plongeant dans l'océan des images nous pourrions tous nous reconnaître ici et là dans des situations totalement inédites, que nous n'avons jamais vécues... Voilà d'ailleurs 2 images que ce nouveau capteur photo-numérique serait susceptible de produire :

le geste de l'artiste
Naturellement, même dans un tel univers, l'extraction d'une image en particulier à partir de ce fameux océan s'avèrerait extrêmement compromise (bien plus que celle de gagner le loto 10 fois dans sa vie en jouant seulement 10 fois). D'où l'importance persistante de l'intention de l'auteur dans l'activité de création, même à l'ère numérique. C'est là le premier enseignement que l'on peut tirer de cette expérimentation, l'intérêt d'un vrai choix artistique par rapport à des capacités de production pléthoriques, ainsi que Queneau l'a illustré par ses Cent mille milliards de poèmes.

accoutumance au médium
Le second enseignement est celui du rappel de la règle du jeu qui accompagne l'utilisation d'un capteur photo-numérique : il ne produit pas le réel. La simple idée de pouvoir retrouver un soit-disant réel grâce à une synthèse massive d'images est dérangeante justement parce que nous associons à la photographie des propriétés d'incarnation du réel qu'elle ne possède pas. Elle demeure, bien qu'extrêmement réaliste, une re - présentation du réel.