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2 · Capteur

2,0 · Discrétisation


illusion d'un continuum
Le premier appareil-photo numérique que j'ai eu : un Kodak de 1998, enregistrement en JPG ou TIFF, images de 640×480, 800×600 ou 1024×768 pixels. Un capteur de résolution ridicule aujourd'hui, couplé à une capacité d'enregistrement très limitée. Génial pourtant, à l'époque. Le dilemme avec cet appareil, c'était qu'en voyage on devait toujours sacrifier un peu de la résolution pour se permettre de prendre plus de photos. Sauf si on avait les moyens de s'offrir de coûteuses cartes-mémoires supplémentaires. La compression JPG par exemple était très ‘violente’, par rapport à une image gardée telle quelle, non recalculée (le cas de l'enregistrement en TIFF). Mais elle permettait de conserver de la place dans la mémoire, pour les photos à venir.

Cet inconvénient a eu le mérite de me sensibiliser à la nature pixellique de l'image numérique. Parce que je devais constamment intervenir sur la résolution de mes images finales, j'ai été améné à me rendre compte de l'importance du dispositif technique que j'utilisais dans le processus de captation. Avec Photoshop 4.0 (installé à l'aide de 23 disquettes) j'ai pu zoomer dans mes images et constater le jeu de crénelage entre à-plats de couleurs. Et par là même toucher du doigt le principe d'illusion de continuité qui régit tous les dispositifs d'imagerie numérique, notamment ceux à ‘grande résolution’ : la discrétisation d'un signal lumineux, soit son rangement en petites cases-échantillons contigües de couleurs, les pixels. Ceux-ci sont collés les uns aux autres afin de produire l'illusion d'un continuum pour les récepteurs sensoriels du corps humain dédiés à la vue, les yeux. Ainsi distinguons-nous plutôt des formes plus ou moins familières, que les pixels eux-mêmes.

exploser l'image numérique, questionner son système
Afin de révéler cette nature pixellique et la force de ‘l'illusion du continuum’, menons une expérience d'explosion de photo numérique ! Les petites cases colorées, ou pixels, dont la vocation est d'être affichées les unes contre les autres, bien alignées, y sont séparées par des pixels noirs plus ou moins nombreux. En outre, pour se conformer à des tailles raisonnables d'images dans l'espace d'un navigateur web au fil de l'injection des pixels noirs, la photo de départ est recadrée autour d'un personnage vivement coloré, et dotée d'une résolution assez basse :

L'original :
originale

1 pixel noir est "injecté" de manière homogène entre chaque pixel original :

L'image s'est assombrie, mais à distance raisonnable de l'écran, les pixels sont difficiles à cerner un par un, sauf peut-être à concentrer son regard sur la zone d'à-plat rouge.

2 pixels :

En maintenant les yeux à la même distance de l'écran la cohérence de l'image est conservée.

3 pixels :

Une part des nuances se perd, les pixels étant dorévant nettement déliés. Cependant la cohérence d'ensemble est maintenue et il est encore largement possible de ne pas intellectualiser la présence des pixels mais plutôt de ne voir qu'une image.

6 pixels :

Toujours à distance normale de l'écran il est désormais impossible de ne pas voir les pixels individuels, même si l'image est encore discernable dans son ensemble. Naturellement les nuances de couleurs se sont nettement évanouies dans de plus grands à-plats.

Enfin par l'injection de 13 pixels (voir l'image navigable intitulée “Vides” disponible via son aperçu dans la boîte noire ci-contre) la représentation figurative disparaît tout bonnement, au profit d'une grande nappe de pixels plus ou moins colorés. Il faut se reculer beaucoup et posséder un très, très grand écran pour voir l'image.


Ainsi au fil de la disparition de l'image au profit de l'individuation de chaque pixel coloré, est révélée de nouveau la nature scientifique de l'image photographique : un relevé de lumière, systématique, présenté sur un plan. Que nous interprétons cependant immédiatement comme une image, parce que nous y reconnaissons des formes. Mais dès que les formes disparaissent un nouveau rapport au réel s'installe : les couleurs issues dudit réel éclatent et laissent entrevoir les vides qui les relient. C'est le système visuel dont nous acceptons tous les jours les règles, devant les images de nos quotidiens.

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