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1 · Héritage et numérisation

1,0 · Ordre, art, oeil, cerveau, réel


Le principe exposé ci-après relève certainement de l'évidence, mais d'une évidence telle qu'il n'a pas été ré-évalué pour sa pertinence dans la photo numérique : la camera obscura propose systématiquement une représentation ‘bien ordonnée’ de la scène visuelle photographiée. Celle-ci consiste en un report scrupuleux, sur un plan, de l'ordonnancement spatial réel de la lumière émise ou réfléchie par les objets photographiés (à un effet miroir prêt dans le cas précis de la camera obscura, évincé ici par souci de simplicité) :

schéma du report ordonné de la lumière à la surface de la photographie

Ce report est-il pertinent systématiquement dans la photographie numérique ? C'est ce que les expériences liées à la partie 3,0 · Désincarnation tenteront d'explorer. Ce principe est en tous les cas calqué sur le fonctionnement de la rétine, qui, par la disposition de cellules sensibles à la lumière sur une surface courbe, permet au cerveau de concevoir une image. Ainsi peut-on dire de ce mode de représentation qu'il est direct, immédiatement interprétable, et c'est certainement ce qui entérine son évidence et son universalité. Il nous renvoie instantanément aux formes des objets que nous connaissons et reconnaissons grâce à nos yeux.
En cela est-il bien sûr extrêmement réaliste au sens ‘perspectiviste’ du terme. On le considère d'ailleurs parfois comme l'aboutissement même du dogme de la mimésis issu de la Renaissance, et de ce point de vue comme l'un des facteurs de libération de la peinture vers la fin du XIXème et le début du XXème siècle.

“le réel du document”
De ce réalisme à l'amalgame avec le réel lui-même, il n'y a qu'un pas, que l'esprit, par effort de synthèse, franchit parfois sans précaution. Il faut donc rester bien attentif à ne pas sur-estimer cette représentation et lui accorder un crédit de vérité, de fidélité, de preuve qu'elle ne mérite pas forcément. C'est justement ce que Baqué souligne pour nous mettre en garde contre le « document » érigé en panacée de la vérité du réel :
« Que l'époque soit lasse des simulacres de l'art, faux-semblants et autres mirages du second degré, cela ne fait guère de doute : il ne faudrait pas pour autant opposer, de façon brutale et simplificatrice, le simulacre de l'art et le réel du document. En d'autres termes, il ne s'agit pas, contre l'art, d'en revenir au document comme preuve infaillible, comme gage d'authenticité. Car pas plus que l'art le document ne "donne" le réel : il le construit, l'élabore, lui donne sens, au risque encouru des faux sens et des contresens. Il faut y insister, le document n'est pas et ne sera jamais l'épiphanie du réel. La réalité soudain là, nue, offerte dans sa pleine et entière vérité, enfin déchiffrable comme un sublime théorème mathématique. » Dominique Baqué, Pour un nouvel art politique.

Cette confusion perdure d'ailleurs depuis longtemps : les scientifiques contemporains de Niépce (l'inventeur de la fixation de l'image formée au foyer de la chambre noire, dans la première moitié du XIXème siècle) disaient de cette image qu'elle est la nature qui parle d'elle-même. Les premiers titres que Niépce trouve pour son invention sont révélateurs : “Physotographie”, auto-peinture de la nature; “Paratophyse”, auto-représentation de la nature; “Fusallétotype”, écriture de la vérité de la nature.

un oeil variable
En outre l'oeil lui-même, cet outil à travers lequel nous évaluons le réel qui nous entoure, est limité dans sa sensibilité et est sujet à de nombreuses variations dans son fonctionnement, en fonction des conditions de luminosité notamment. Il nous fournit donc une pré-interprétation de notre environnement tout-à-fait subjective et d'une fiabilité relative. C'est ce qui est exposé dans “une anatomie (très) sélective de l'oeil” accessible par l'aperçu dans la boîte blanche ci-contre.

un cerveau plastique
Enfin le cerveau est le théâtre d'intenses tractations entre aires sensorielles et lobes frontaux, sièges de la pensée et de la reconnaissance de formes. L'interprétation in fine que nous concevons de notre environnement en est le produit, et plusieurs expériences tendent à démontrer que ce produit est particulièrement modulable. C'est ce qui est exposé dans “Le cerveau sensoriel” accessible par l'aperçu dans la boîte blanche ci-contre.

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