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3 · Enregistrement

3,0 · Désincarnation


“les apparences de la nature”
En se penchant sur le problème de la représentation picturale du monde qui l'entoure, Paul Klee désigne le travail de l'artiste qui, confronté au réel, se doit de faire preuve d'honnêteté intellectuelle quitte à ne pas plaire à certains :
« L'artiste n'accorde pas aux apparences de la nature la même importance contraignante que ses nombreux détracteurs réalistes. Il ne s'y sent pas tellement assujetti, les formes arrêtées ne représentant pas à ses yeux l'essence du processus créateur dans la nature. » Paul Klee, Théorie de l'art moderne.
Faudrait-il donc être moins réaliste pour être plus vrai ? Ce n'est pas vraiment ce que la pratique traditionnelle de la photographie tend à défendre.

détourner l'objet-souche
Tel qu'exposé dans la partie 1,2 · Numérisation, les sauvegardes numériques sont des listes de 0 et 1, au goût et à l'odeur parfaitement neutres, totalement désincarnées. Les photos numériques ne dérogent bien sûr pas à la règle. Cette nature que l'on peut qualifier, par comparaison biologique, d'objet-souche, ouvre la porte à des manipulations informatiques dont la seule limite est l'imagination. Des logiciels tels que Photoshop permettent ainsi d'appliquer des effets de style passablement élégants et exclusivement centrés sur des enjeux de figuration de phénomènes physiques (par exemple l'effet ‘vent’, le filtre ‘carrelage’). Mais il est aussi possible d'aborder sous un angle analytique la question de la réinterprétation d'un fichier image, en modifiant la lecture de sa liste de nombres selon des données directement issues du réel. En choisissant par exemple de négliger la représentation figurative de la prise de vue au profit du classement de ses pixels par luminosité et par couleurs (en l'occurence, priorité au rouge sur un extrait de la photo “Rouge, vert, bleu”) :

originale
réinterprétation en classement des px par luminosité et couleurs


d'autres réalismes que le réalisme figuratif ?
Cette nouvelle re-présentation bénéficie naturellement des mêmes garanties de qualité de restitution du réel que son homologue ‘bien ordonnée’, traditionnelle, figurative, réaliste, ou quel qu'en soit le nom. Les deux images sont issues des mêmes réactions entre les mêmes photons et les mêmes cellules, et les données utilisées pour les produire sont strictement identiques. La nouvelle représentation propose simplement de porter un autre regard sur ce fameux réel : ni plus, ni moins juste. En effet, le classement par couleur des pixels de l'image présente un intérêt analytique certain : celui d'aider à comprendre ce qui se passait là, à cet instant, en terme de longueurs d'onde des rayons lumineux. Bien sûr l'interprétation n'est pas aussi absolument directe, ses formes n'étant pas reconnaissables. Ne s'agit-il pas cependant d'une représentation du réel ? Ne pourrait-on pas même dire de cette nouvelle image qu'elle représente de manière aussi réaliste la scène initiale que son homologue figurative ? Quelles sont les conséquences sur la valeur d'authenticité jusqu'ici portée par les supports dont l'enregistrement était impossible à reproduire synthétiquement, c'est-à-dire par d'autres artifices que ceux du réel original ?

un carré de chocolat
En prime, et comme une invitation à ouvrir les diverses productions ‘prismatiques’ disponibles dans la boîte noire ci-contre, voici le même type de réinterprétation mais avec priorité au bleu, appliquée à l'image “Rouge, vert, bleu” complète, et surtout disposée dans un cadre carré. En effet, les enjeux de figuration spatiale du réel étant évincés, peu importe le cadre :

l'originale au carré


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