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4 · Synthèse


De la captation à l'enregistrement, voilà brossé le tableau de l'éclaté du processus photo-numérique. La discrétisation du signal issu du réel, opération initiale de toute numérisation, a été soulignée. La nature désincarnée de l'image numérique, affranchie de tout support dans sa définition, a été exploitée pour produire de nouvelles formes. De même, dans un registre plus libre et moins référencé, pour ce qui est de la compression. Une notion, certainement la plus dérangeante, mérite encore quelques éclaircissements à la lumière de toutes les autres réunies, dans cette synthèse : celle de la place du dénombrement dans le contexte de la photographie numérique.

encore un peu de dénombrement
Il repose sur la nature calculable de toute image numérique, photo numérique incluse. En effet, peut-on non seulement dénombrer les productions possibles d'un système aux paramètres absolument connus et limités tel que celui du capteur photo-numérique, mais également les générer.
Cette nature calculable vient renforcer l'importance du choix de l'artiste dans la création d'une oeuvre, ainsi qu'évoqué en 2,2,2 · Forme. On peut ajouter que ce choix s'opère dès la mobilisation d'une technique, au détriment d'une autre, en réponse à une intention originale : par exemple choisir intelligemment d'utiliser un appareil-photo et se déplacer chez les Friedlander pour produire l'image photographique dont la légende serait “Oncle Vern debout à côté de sa nouvelle Hudson”, plutôt que de tenter de la synthétiser pixel par pixel à l'aide d'une tablette graphique, ou encore par formes macro à l'aide d'un logiciel de modélisation 3D ! Et même plutôt que d'espérer pouvoir la retrouver dans une hypothétique, gigantesque banque d'images...
Cependant il est intéressant de se demander maintenant dans quel contexte d'usage le choix d'une image parmi un ensemble pré-généré pourrait constituer un geste artistique intéressant. Et comment ce choix pourrait bénéficier d'aussi grandes possibilités de nuances que l'appareil-photo en propose par sa portabilité aux quatre coins du monde, son cadre mouvant, ses lentilles variables, diaphragmes, temps d'exposition, taille du capteur, profondeur des couleurs ?

abstraire
Il est d'autre part évidemment remarquable que, tout au long de ce texte, l'ensemble des expériences a conduit à engendrer des formes abstraites. Rien d'étonnant cependant au regard de ce que les Vasulka ont eux-mêmes été amenés à proposer, afin de révéler et d'exploiter dans la vidéo ce qui fait d'elle un médium à part entière. Ce qu'il convient de faire pour analyser un médium, au sens de McLuhan est certainement d'aller chercher, ‘derrière les produits’ du médium et l'écran hypnotisant que ceux-ci peuvent constituer, les processus qui sont à l'oeuvre. Et ainsi proposer de nouvelles formes. Voilà d'ailleurs, reprise et complétée, la citation de Paul Klee à ce sujet (introduite en 3,0 · Désincarnation) :
« L'artiste n'accorde pas aux apparences de la nature la même importance contraignante que ses nombreux détracteurs réalistes. Il ne s'y sent pas tellement assujetti, les formes arrêtées ne représentant pas à ses yeux l'essence du processus créateur dans la nature. La nature naturante lui importe d'avantage que la nature naturée. » Paul Klee, Théorie de l'art moderne
La question du rapport de la photographie numérique aux « apparences de la nature » a été plus particulièrement traitée. Une suite possible serait d'interroger son rapport au « processus créateur de la nature », voire de proposer de nouvelles approches quant à la représentation de cette « nature naturante ».

un médium à part entière ?
Si les Vasulka et plusieurs vidéastes tels que Nam June Paik ou Gary Hill ont offert ses lettres de noblesse à la vidéo en synthétisant ses langages, il est évident que leurs travaux constituent une goutte d'eau par rapport à l'océan des oeuvres qui se soumettent encore et toujours à la « dictature de l'effet trou d'épingle ». Le ratio est considérable, et d'ailleurs il est probable que leur intention n'a nullement été d'essayer de l'inverser. Il ne s'est pas agi pour eux de dénigrer systématiquement le principe de la camera obscura pour, in fine, le remplacer, mais simplement de questionner son usage systématique. C'est ainsi que j'ai construit ici mon propos : tenter d'inscrire la photographie numérique, le couple capteur photo-numérique + ordinateur, dans cette démarche de questionnement, et non de remplacement. L'ensemble des usages ‘classiques’ du capteur photo-numérique se trouvent percés, je l'espère, d'une fenêtre ouverte sur de nouvelles approches, d'une invitation à prendre parfois ce capteur comme un pinceau plutôt que comme une boîte.

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