feb. 2010 | Matthieu Savary

Réel, nouvel opium ?

On me proposait récemment de participer à une exposition (à la galerie des Filles du Calvaire avec le collectif Est-ce une bonne nouvelle, tous les détails en fin de post) dont on me donnait le titre, ou plutôt la problématique : "Le réel, un nouvel opium ?

 

On me proposait récemment de participer à une exposition (à la galerie des Filles du Calvaire avec le collectif Est-ce une bonne nouvelle, tous les détails en fin de post) dont on me donnait le titre, ou plutôt la problématique : "Le réel, un nouvel opium ?". Et il m'était demandé de concevoir une mise en espace de textes produits par 12 écrivains sur ce thème. Il m'est apparu intéressant d'éprouver le dispositif des Cinétypes, mis en place voilà un peu plus d'un an.

Cinétype(s) ? Un objet-médium conçu à l'origine dans le but (un peu provocateur...) de transduire l'expérience assez exquise de la révélation photographique argentique, dans le contexte de la photographie numérique :

  • Un jeu complètement artificiel qui vient souligner le "potentiel mou", le "potentiel de flou artisitique" de la matière photo-numérique, potentiel totalement délaissé au profit d'une approche rationnelle, efficace, rentable. Une manière d'explorer l'organicité du fichier photo-numérique, organicité absolument ontologique de son mode de production : même s'il prend la forme de bits (0 et 1), il est en effet bien issu d'un mouvement de captation du réel, selon un point de vue d'homme, et la matière de valeurs de rouge, vert ou bleu qu'il contient est particulièrement riche et cohérente. Une qualité d'ailleurs partagée par quasiment tous les types de données issues de dispositifs de captation du réel. Une bénédiction pour tout programmeur en quête de données harmonieuses dans le but de produire synthétiquement sons et images... finalement pas si synthétiques que ça ?!
  • Les Cinétypes ont ainsi également été conçus dans le but de venir interroger la représentation du réel fournie par la photographique numérique : le dispositif exploite les mêmes "données pixelliques" de lumière et couleur issues du réel que la photo "standard", mais en propose un rendu animé, réordonné, non-figuratif. Moins juste pour autant ?

Dans le cas de textes récupérés, pour la plupart, sous la forme de fichiers de texte, le premier pas vers un "cinétypage" consiste à passer en image. Pourquoi ? Il ne s'agit pas tellement de créer une animation façon générique de film dans laquelle les lettres vont venir se positionner une par une, mais plutôt de proposer une expérience de rendu d'un texte dont la lisibilité va et vient dans le temps et dans l'espace. Dont le sens, dédié à la question du Réel dans ce cas précis, doit se trouver souligné par ce jeu d'apparition-disparition propre aux Cinétypes. D'ailleurs jouer sur la lisibilité d'un texte est peut-être la meilleure épreuve à laquelle l'on peut soumettre le dispositif.

Le jeu temporel semble donc acquis, il est même central dans le dispositif, qui met en mouvement la matière a priori ordonnée et figée de pixels d'une photographie numérique. Le va-et-vient dans l'espace paraît, lui, moins évident. Il y a bien mouvement sur un plan, à l'intérieur d'un cadre, mais aucune propriété du dispositif ne permet à ses "produits de lumière et de temps" d'entrer en résonance avec l'espace dans lequel nous vivons. C'est dans cette quête que je m'intéresse alors aux propriétés optiques d'une projection au mur :

En préférant une mise au point du projecteur "dans l'air", en choisissant de créer l'image avant qu'elle n'apparaisse clairement sur le mur-écran, j'ai pu faire entrer l'espace de plein fouet dans le dispositif. Le corps se trouve sollicité non plus seulement pour placer ses yeux en face d'un mur, mais pour trouver, créer, finir l'image potentielle qui flotte quelque part entre le projecteur et l'écran.

Voilà la "réalité de l'image" questionnée. Existe-t-elle vraiment, si l'on ne peut en voir qu'une manifestation floue ? Lorsque le corps intervient pour la faire exister, hésite sur la distance appropriée, louvoie tout autour du cône de projection pour en embrasser la majorité, cherche-t-il le réel le plus juste ? L'image la plus vraie ? L'humanité de chacun des manipulateurs improvisés d'images fait, je l'espère, voler ces questions en éclat.


Ainsi ai-je souhaité déployer, par l'expérience du mouvement, les textes dédiés au Réel et à sa fumée qui m'étaient confiés. En voici quelques extraits, optiquement mis-au-point mais programatiquement compressés !

(D'après un texte de Fred Griot, écrivain : "le réel, nouvel opium ?") 

(D'après un texte de Frédéric Dumond, écrivain et vidéaste : "note d'intention le réel")


L'exposition à la galerie des Filles du Calvaire, qui a invité le collectif Est-ce une bonne nouvelle et ses commissaires Christian Barani, Frédéric Dumond et Emmanuel Adely, se tient du 4 février au 27 février 2010 (ouvert de 11h à 18h30 du lundi au samedi).

Merci à eux pour l'invitation.

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